28 février 2018

Six mois à Munich



          Février se termine et six mois s’affichent au compteur. Il y a six mois, je posais mes valises à München sans parler un mot d’allemand. C’était plutôt bien parti. Résultat : je me suis retrouvée seule dans un tramway direction les voies de garage. Maintenant j'affiche un niveau B1 qui ne m'empêche pas de louper la moitié des informations données au micro. Passons.
          Aujourd'hui débute ma seconde partie du voyage, celle où l’on se dit que chaque image, chaque odeur, chaque sensation doit se graver dans un coin du cerveau. Qu’il faut se souvenir du temps passé seule, à la recherche de soi et des autres (sans faire référence à l'épisode du tramway...). Des personnes que l’on rencontre et que l’on ne verra peut-être jamais plus. Ces étrangers à l’Allemagne autant que nous le sommes. Qu’il faut se souvenir de la spontanéité que l’on a eue auprès d’eux parce que le temps et le choix de vocabulaire l’imposaient. Ces échanges sur nos traditions, nos cultures, nos points communs et nos différences. Ces moments volés dans le quotidien de l’autre. Je me dis qu’il faut se souvenir des arbres qui ont perdu leurs feuilles et des déneigeuses qui émettent leur sirène dès 7 heures sous la fenêtre (avec grognements de gorge et oreillers sur la tête). Les allemands qui s’affairent, pas d’arrêt sous la neige. Des paysages couverts de blanc pendant des mois, du sol givré et des mains gelées. Le thermomètre s’est teint de bleu jusqu’à noter -13°C (mes lèvres ont suivi). Il y a aussi ces quelques pieds qui glissent et ces bras battant l’air. Ces genoux à essuyer. Ces pieds qui claquent pour retirer la neige coincée dans les renfoncements des semelles et les têtes qui ne se retournent plus parce que ce son appartient au quotidien.




           Il faut tout capitaliser. La peine et la joie. La solitude et la chaleur des inconnus. Le quotidien dans une famille qui n’est pas la nôtre, les cours dans une langue que nous n’avions jamais étudiée. Les sourires, les encouragements, les mains posées sur les épaules, les bières partagées, les danses sur les tables de l’Oktoberfest, les câlins pour dire bonjour qui me raidissent les épaules, les remontrances si l’on marche sur la piste cyclable, si l’on s’approche trop du train, si un enfant est un peu trop loin ou parle un peu trop fort. Je veux me souvenir des sonnettes des cyclistes qui retentissent, des attentes au passage piéton pour un bonhomme absolument vert avant de poser son premier pas, des gants de boxe enfilés trop grands dans une salle mêlant hommes et femmes, débutants et confirmés, des randonnées éprouvantes mais époustouflantes, aux paysages de cartes postales. On veut tenir le rythme à l’allemande, et montrer aux sexagénaires que nous aussi, on tient debout après 5 heures de marche. On boit un peu d’eau en espérant que les joues dérougissent et on lance un « servus » à plein poumon. Je veux me souvenir du camp de Dachau et le mal-être des jours suivants sans réduire l’Allemagne à son terrible XXe siècle. Je veux me souvenir de mes émotions contradictoires, de mes montagnes russes et ma sensibilité exacerbée. Je veux me souvenir des partages, des cadeaux gratuits, des mots doux glissés dans la boite aux lettres aux timbres de tous les horizons. Je veux aussi me souvenir des blagues du vendeur à la presse qui savait toujours pourquoi je venais.



           En six mois tant de choses peuvent survenir que j’ai parfois peur que ma mémoire ne puisse pas tout contenir. Tant de moments appartiennent déjà au passé. Et tant de possibilités restent à venir, à vivre. Une nouvelle saison va débuter, les arbres vont refleurir, et de nouvelles raisons vont naître pour s’émerveiller de nouveau et agrandir un monde qui, pourtant, avait toujours été là.

4 commentaires:

  1. C'est sensible et délicat, et drôle aussi.

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    1. Merci pour tes gentils mots. Merci de continuer de te rendre sur le blog et de me soutenir.

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  2. Deux choses: 1/ tu écris magnifiquement 2/ les larmes me viennent aux yeux à te lire, ton histoire est comme un miroir avec la mienne il y a 25 ans. C'était il y a longtemps, mais avec ce texte qui me touche tellement, j'ai ce soir l'impression que c'était hier. Merci

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    1. Je suis tellement heureuse de réussir à te transmettre ces émotions grâce à mes mots et expériences. Merci de me lire et de partager cela avec moi.

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