Nombre de pages : 304.
Résumé :
«Bo et Hama travaillent dans la même usine. Elle est ouvrière de jour, lui, forgeron la nuit. Dès le premier regard, ils tombent follement amoureux. Un matin, une catastrophe survient et ils doivent fuir la ville dévastée. Commence alors pour eux un fabuleux périple à travers les territoires inconnus... Mais quand l'ombre a pris la place de la lumière, l'amour suffit-il à nous garder vivants ?»
Mon avis :
A Noël il y avait
toutes sortes de cadeaux qui jonchaient le sol au pied du sapin. Des
cadeaux plus ou moins volumineux, aux formes allongées ou rondes.
Sur chacun d’entre eux étaient écrits les noms en manuscrit. Avec
le temps j’ai appris à reconnaître les tracés et les pliages.
Ceux-là étaient différents et l’emballage avait cette signature
confirmant que c’était elle. Céline, de la Librairie-Café
m’avait offert un livre pour Noël. Il y a de ces petites
attentions du quotidien qui mettent les larmes aux yeux et du baume
au cœur. Sans mots annonciateurs, sans attente, on vous fait savoir
que l’on pense à vous et que l’on souhaite partager encore
quelques aventures.
Je n’aurais pas
acheté de moi-même un livre de la collection « Pôle
fiction » de Gallimard. Le « à partir de 13 ans »
que lui collait le dos jaune me chuchotait ses mots réducteurs :
« tu n’es pas le public visé, tu as passé l’âge. ».
Céline avait pensé autrement et il m’intéressait de savoir
pourquoi.
L’histoire
s’ouvre sur un prologue aux contours assez flous. Ça parle d’usine
tournant à plein régime, enrichissant les villes et l’avarice
jusqu’au jour où ce que l’on pensait intangible nous échappa.
« Il faut toujours perdre une part de soi pour que la vie
continue. » l’illustrera à la manière d’un gimmick
lancinant. Il y a ensuite ces chapitres aux titres antithétiques qui
s’enchaînent toutes les dizaines de pages. Ces titres qui ne
réduisent pas la vie et ses passants, comme l’œuvre d’Anne-Laure
Bondoux ne réduira pas sa géographie, son espace temps ou son
enveloppe corporelle. Rien ne nous indique précisément si nous
sommes dans une époque contemporaine ou passée, en France ou
ailleurs, si lisons réellement sur des Hommes ou sur des bêtes.
Tout peut être envisagé bien que l’impression de se trouver au
début du XXe siècle est page après page, un peu plus forte.
«Quand ils furent face à face, le vacarme sembla s'atténuer, comme si la
neige avait soudain recouvert les fours, les ponts roulants, les poches à
coulées, les extrudeuses. Plus personne ne poinçonnait, plus personne
n'ajustait ni ne soudait ; nous avions du coton dans les oreilles.
Sous nos yeux, leurs mains se frôlèrent.
Un sourire d'enfant illumina le visage de Hama, et un frisson secoua la grande carcasse de Bo. Nous aurions juré assister à des retrouvailles.
Cela ne dura qu'un instant, quelques secondes fragiles, gracieuses, volées à l'entêtante nécessité de l'Usine. Mais cela suffit à nous rappeler une chose essentielle : le feu qui brûlait dans le ventre de nos fourneaux brûlait encore dans nos veines. Contairement à ce que nous croyions, nous n'étions pas morts.»
Sous nos yeux, leurs mains se frôlèrent.
Un sourire d'enfant illumina le visage de Hama, et un frisson secoua la grande carcasse de Bo. Nous aurions juré assister à des retrouvailles.
Cela ne dura qu'un instant, quelques secondes fragiles, gracieuses, volées à l'entêtante nécessité de l'Usine. Mais cela suffit à nous rappeler une chose essentielle : le feu qui brûlait dans le ventre de nos fourneaux brûlait encore dans nos veines. Contairement à ce que nous croyions, nous n'étions pas morts.»
Bo et Hama
travaillent à l’usine de leur ville. C’est là qu’ils se sont
rencontrés et aimés. C’est là que leurs amis travaillent et que
leur vie se construit. Puis le déclin arrive avec ses gros
souliers. Il écrase et déchire les richesses et les corps. Le cœur
meurtri mêlé à la peur du malheur la population qui semblait unie
se scinde et la violence pullule. Il faut trouver un coupable, un
marginal, un vulnérable. S’ensuivent alors la fuite, la faim et la
bataille de l’humanité. Conserver son amour pour l’autre,
l’envie d’aimer son prochain et de lui tendre la main. Bo et Hama
s’aventurent dans des contrées inconnues, aux êtres couleur
endive et aux croyances sans cesse renouvelées. Les paysages, les
illusions, les compagnons de fortune, les aptitudes, l’amour et les
êtres se vivifient ou s’éteignent selon les saisons. Car :
« Il faut toujours perdre une part de soi pour que la vie
continue. » Ainsi va la vie. Aussi sombre et belle qu’elle
soit. Un bonheur ne peut grandir sans qu’un jour, son antonyme
survienne. Relever son genou du sol, essuyer son sang et son sel et
admirer les fleurs éphémères sur les bas côtés, tant que nous
sommes vivants.
Je remercie Céline
pour avoir pensé, à juste titre, que ce roman me plairait. Et qu’un
dos jaune n’en était pas moins profond et accessible aux plus
grands. Je remercie aussi Anne-Laure Bondoux pour ce voyage en terre
inconnue, aux formes et aux visages flous ou déformés, et de me
demander un second effort de lecture pour mettre en lumière toutes
ces métaphores. Et si l’on continuait ? Car tant que nous
sommes vivants, l’aube sera grandiose.
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