Les loyautés est un roman de Delphine de Vigan, publié le 3 Janvier
2018, chez Jean-Claude (JC) Lattès.
Nombre
de pages : 206.
Résumé :
« Chacun
de nous abrite-t-il quelque chose d’innommable susceptible de se
révéler un jour, comme une encre sale, antipathique,
se révélerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de nous
dissimule-t-il en lui-même ce démon silencieux capable de mener,
pendant des années, une existence de dupe ? »
Mon avis :
L’hiver
pointait le bout de son nez. La neige tombait sur München, déposant
son manteau blanc d’hiver sur les toits des nombreux marchés de
Noël. Les guirlandes scintillaient la nuit tombée. La ville
changeait son
parfum, prenait une odeur sucrée mêlant marrons et vins
chauds
enivrants. On allumait les feux dans les cheminées, on sortait les
plaids et les boissons fumantes. On finissait même par y rapprocher
nos pieds qui mettaient plus de temps pour
se réchauffer, en se disant qu’en attendant que cela fasse effet,
on lirait bien quelques pages en français. Quelque
chose dans lequel on pourrait s’identifier et apprécier le son
qu’émettait sa propre langue. Quelque chose qui frappait
le cœur pendant que la neige se brisait
sous les bottes des passants. Quelque chose de percutant pendant que
le ciel blanc s’abaissait et que la tempête soufflait sur
les arbres courbés et les chaises renversées. Heureusement,
dans quelques jours sortait Les loyautés. Ça
s’accorderait.
En
lisant la quatrième de couverture, je n’étais pas plus éclairée
sur son contenu, encore moins sur la justification de son titre. Elle
devait s’en douter car ce sont ses premières lignes :
« Les
loyautés. Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres
– aux morts comme aux vivants –, ce sont des promesses que nous
avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités
silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec
nous-même, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des
dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires. »
La
quatrième de couverture et ses premiers mots sont un parfait résumé
de son œuvre. Delphine de Vigan écrit dans « Les Loyautés »,
l’invisible, la part d’ombre et inaccessible de tout un chacun.
Celle que nous n’exposons pas mais qui vibre à l’intérieur. Nos
failles, nos questionnements, nos perceptions. Il y a toujours
quelque chose en nous qui échappera à l’autre, aussi proche qu’il
soit, aussi proche que nous aimerions qu’il soit. Nous ne pourrons
jamais tout donner, tout dire et tout faire à la manière dont nous
aimerions qu’il soit reçu ou perçu. Cette part d’omission
est-elle alors un mensonge ? Sommes-nous loyaux ou
participons-nous consciemment ou non à un jeu de dupe ? Puis il
y a les loyautés que nous tissons, en silence, pour satisfaire
l’autre. Lui simplifier la vie, le protéger, le soutenir, le
rendre fier. A nos risques et périls.
« Parfois je me dis que devenir adulte ne sert à rien d’autre qu’à ça : réparer les pertes et les dommages du commencement. Et tenir les promesses de l’enfant que nous avons été. »
Delphine
de Vigan n’use que peu de dialogues. Elle concentre son écrit sur
la psychologie des personnages, les batailles livrées intérieurement
lorsque tout le monde dort ou que l’on arbore silencieusement un
sourire de bonne figure au milieu d’un groupe débattant du dernier
sujet de société. On se coupe du monde, les yeux dans le vide. Nous
ne sommes plus là, nous sommes partis en plein périple dans nos
méandres. Les voix autour s’estompent jusqu’à ne devenir qu’un
bourdonnement. Nous triturons notre mécanisme, baissons tel un DJ
les sons externes, et poussons vers le haut ce petit bouton, là
voilà celui-là, là c’est bien, on entend maintenant les
battements du cœur, le crissement des rouages, les informations
envoyées par le cerveau qui se perdent parfois en cours de route. Ça
fume car il y en a une qui coince là-bas. Elle fait obstruction.
« Eh, oh, tu es avec nous ? Tu penses à quoi ? »
à ça nous répondrons un « Hein ? Moi ? Ah, rien
pardon, je suis un peu fatigué. » évasif, ne dupant
probablement personne, mais comme chacun fera comme si c’était le
cas, nous sortirons de nouveau notre beau sourire de circonstance et
entrerons peut-être même dans le débat, sans n’avoir rien dit.
Mais Delphine de Vigan écrit sur les non-dits, les demi-mots, les
sous-entendus, et ces pensées, nous les avons.
Nous
débarquons au milieu des événements, des vies, sans présentation, sans conclusion. Un moment suspendu, comme entre parenthèse. Nous rencontrons l’esprit de
Théo et Mathis, tous deux collégiens, Hélène, professeure de
collège et Cécile, parent d’élève. Ces quatre personnages se
battent pour se détacher de parents aussi détruits que
destructeurs, dans la misère financière ou amoureuse, pris dans la
violence de l’alcool ou des coups. Ils luttent pour ne pas se
perdre quand autour d’eux certains coulent et les entraînent. Ce
sont des personnages perdus, cherchant pour certains à aérer les
pièces, ouvrir en grand les fenêtres et laisser s’engouffrer
l’air et la lumière du nouveau jour, quand d’autres ferment les
rideaux, filtrent les sources de lumière dans l’espoir qu’un
jour tout soit noir.
J’ai
essayé de le faire durer, le laisser prendre un peu la poussière
sur l’étagère. Je l’ai mis au milieu d’une pile, comme si je
pouvais le cacher parmi d’autres ouvrages. Mais c’est Delphine de
Vigan. C’est celle qui me fait sortir un livre dans les transports
pour un trajet de 5 minutes. C’est celle qui me fait lire dans la
rue en marchant d’un pas soutenu sur le chemin des cours. C’est
celle qui me fait pianoter sur mon ordinateur avec l’envie
d’écrire. C’est celle qui me crie d’être toujours plus
exigeante avec les mots, avec l’observation, avec l’introspection.
C’est celle qui écrit pour moi sans s’en rendre compte. C’est
celle qui m’accompagne depuis 7 ans maintenant et à qui je ne
demande même plus d’écrire un résumé au dos de son roman. C’est
celle qui me procure l’effet cathartique que je cherche dans la
littérature. C’est celle qui me met un coup de pied aux fesses et
qui aura la chance de m’entendre dire merci.
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