27 janvier 2018

Coup de ♡ - Les Loyautés


Les loyautés est un roman de Delphine de Vigan, publié le 3 Janvier 2018, chez Jean-Claude (JC) Lattès.
Nombre de pages : 206.

Résumé :

 

« Chacun de nous abrite-t-il quelque chose d’innommable susceptible de se révéler un jour, comme une encre sale, antipathique, se révélerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de nous dissimule-t-il en lui-même ce démon silencieux capable de mener, pendant des années, une existence de dupe ? »





Mon avis :

 

           L’hiver pointait le bout de son nez. La neige tombait sur München, déposant son manteau blanc d’hiver sur les toits des nombreux marchés de Noël. Les guirlandes scintillaient la nuit tombée. La ville changeait son parfum, prenait une odeur sucrée mêlant marrons et vins chauds enivrants. On allumait les feux dans les cheminées, on sortait les plaids et les boissons fumantes. On finissait même par y rapprocher nos pieds qui mettaient plus de temps pour se réchauffer, en se disant qu’en attendant que cela fasse effet, on lirait bien quelques pages en français. Quelque chose dans lequel on pourrait s’identifier et apprécier le son qu’émettait sa propre langue. Quelque chose qui frappait le cœur pendant que la neige se brisait sous les bottes des passants. Quelque chose de percutant pendant que le ciel blanc s’abaissait et que la tempête soufflait sur les arbres courbés et les chaises renversées. Heureusement, dans quelques jours sortait Les loyautés. Ça s’accorderait.

          En lisant la quatrième de couverture, je n’étais pas plus éclairée sur son contenu, encore moins sur la justification de son titre. Elle devait s’en douter car ce sont ses premières lignes :
« Les loyautés. Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants –, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-même, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires. »

           La quatrième de couverture et ses premiers mots sont un parfait résumé de son œuvre. Delphine de Vigan écrit dans « Les Loyautés », l’invisible, la part d’ombre et inaccessible de tout un chacun. Celle que nous n’exposons pas mais qui vibre à l’intérieur. Nos failles, nos questionnements, nos perceptions. Il y a toujours quelque chose en nous qui échappera à l’autre, aussi proche qu’il soit, aussi proche que nous aimerions qu’il soit. Nous ne pourrons jamais tout donner, tout dire et tout faire à la manière dont nous aimerions qu’il soit reçu ou perçu. Cette part d’omission est-elle alors un mensonge ? Sommes-nous loyaux ou participons-nous consciemment ou non à un jeu de dupe ? Puis il y a les loyautés que nous tissons, en silence, pour satisfaire l’autre. Lui simplifier la vie, le protéger, le soutenir, le rendre fier. A nos risques et périls.

« Parfois je me dis que devenir adulte ne sert à rien d’autre qu’à ça : réparer les pertes et les dommages du commencement. Et tenir les promesses de l’enfant que nous avons été. »

          Delphine de Vigan n’use que peu de dialogues. Elle concentre son écrit sur la psychologie des personnages, les batailles livrées intérieurement lorsque tout le monde dort ou que l’on arbore silencieusement un sourire de bonne figure au milieu d’un groupe débattant du dernier sujet de société. On se coupe du monde, les yeux dans le vide. Nous ne sommes plus là, nous sommes partis en plein périple dans nos méandres. Les voix autour s’estompent jusqu’à ne devenir qu’un bourdonnement. Nous triturons notre mécanisme, baissons tel un DJ les sons externes, et poussons vers le haut ce petit bouton, là voilà celui-là, là c’est bien, on entend maintenant les battements du cœur, le crissement des rouages, les informations envoyées par le cerveau qui se perdent parfois en cours de route. Ça fume car il y en a une qui coince là-bas. Elle fait obstruction. « Eh, oh, tu es avec nous ? Tu penses à quoi ? » à ça nous répondrons un « Hein ? Moi ? Ah, rien pardon, je suis un peu fatigué. » évasif, ne dupant probablement personne, mais comme chacun fera comme si c’était le cas, nous sortirons de nouveau notre beau sourire de circonstance et entrerons peut-être même dans le débat, sans n’avoir rien dit. Mais Delphine de Vigan écrit sur les non-dits, les demi-mots, les sous-entendus, et ces pensées, nous les avons.
           Nous débarquons au milieu des événements, des vies, sans présentation, sans conclusion. Un moment suspendu, comme entre parenthèse. Nous rencontrons l’esprit de Théo et Mathis, tous deux collégiens, Hélène, professeure de collège et Cécile, parent d’élève. Ces quatre personnages se battent pour se détacher de parents aussi détruits que destructeurs, dans la misère financière ou amoureuse, pris dans la violence de l’alcool ou des coups. Ils luttent pour ne pas se perdre quand autour d’eux certains coulent et les entraînent. Ce sont des personnages perdus, cherchant pour certains à aérer les pièces, ouvrir en grand les fenêtres et laisser s’engouffrer l’air et la lumière du nouveau jour, quand d’autres ferment les rideaux, filtrent les sources de lumière dans l’espoir qu’un jour tout soit noir.

           J’ai essayé de le faire durer, le laisser prendre un peu la poussière sur l’étagère. Je l’ai mis au milieu d’une pile, comme si je pouvais le cacher parmi d’autres ouvrages. Mais c’est Delphine de Vigan. C’est celle qui me fait sortir un livre dans les transports pour un trajet de 5 minutes. C’est celle qui me fait lire dans la rue en marchant d’un pas soutenu sur le chemin des cours. C’est celle qui me fait pianoter sur mon ordinateur avec l’envie d’écrire. C’est celle qui me crie d’être toujours plus exigeante avec les mots, avec l’observation, avec l’introspection. C’est celle qui écrit pour moi sans s’en rendre compte. C’est celle qui m’accompagne depuis 7 ans maintenant et à qui je ne demande même plus d’écrire un résumé au dos de son roman. C’est celle qui me procure l’effet cathartique que je cherche dans la littérature. C’est celle qui me met un coup de pied aux fesses et qui aura la chance de m’entendre dire merci.

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