6 juin 2017

La Part de l'autre - Eric-Emmanuel Schmitt

La Part de l'autre est un roman d'Eric-Emmanuel Schmitt, publié chez Albin Michel en 2001.
Nombre de pages : (chez Le Livre de Poche) 503.

Résumé : (quatrième de couverture)

     « 8 octobre 1908 : Adolf Hitler recalé.
Que se serait-il passé si l'Ecole des beaux-arts de Vienne en avait décidé autrement ?
Que serait-il arrivé si, cette minute-là, le jury avait accepté et non refusé Adolf Hitler, flatté puis épanoui ses ambitions d'artiste ?
Cette minute-là aurait changé le cours d'une vie, celle du jeune, timide et passionné Adolf Hitler, mais elle aurait aussi changé le cours du monde... »




Mon avis :

     La Part de l'autre m'accompagnait dans les transports. D'habitude assez fière d'avoir un livre à la main, j'en venais à me demander ce que pensaient les gens dont les yeux se rivaient sur ma couverture. Régulièrement, je vérifiais que la couverture soit collée à ma peau, ne laissant que le dos visible. Ce sentiment de malaise s'est intensifié au cours de ma lecture. Plus j'avançais, plus je sentais les regards. Plus j'avançais, plus le mien s’endurcissait sur moi-même. Petit à petit, je compatissais avec le jeune Hitler dont la vie s'acharnait à l'appauvrir et l'humilier. Petit à petit, je ressentais de l'empathie, le rendant presque appréciable. Je lisais ses échecs et leurs conséquences. J'étais spectatrice de l’engrenage de ses interprétations. Et j'ai détesté cela. J'ai détesté me mettre à sa place et tenter de comprendre ses motivations. J'ai détesté observer l'homme qu'il devenait, mais par dessus tout, j'ai détesté que l'on me dise que je pourrais être une future Hilter. La première réaction est se dire que c'est impossible, qu'Hitler était une erreur de la nature, un monstre élevé et nourri à la haine et l’antisémitisme. Au fur et à mesure des pages, on se remet en question et on se dit qu'on a été bien bête de produire nous-même des pensées aussi simplistes. On se construit chaque jour par nos choix, nos actions et leurs conséquences. Chaque jour nous définissons qui nous sommes. Chaque jour, nous pouvons flancher et accepter la facilité, nourrir notre part sombre parce que la foule ne demande qu'à combler ses peurs et ses peines, qu'à stéréotyper pour ranger dans des cases bien rassurantes ce/ceux qui nous échappe/nt.

« L'erreur que l'on commet avec Hitler vient de ce qu'on le prend pour un individu exceptionnel, un monstre hors norme, un barbare sans équivalent. Or, c'est un être banal. Banal comme le mal. Banal comme toi et moi. »

     Le livre fini, je n'ai pas pu bouger tout de suite, comme lorsque l'on prend une gifle à s'en faire décoller la mâchoire. On ne sait plus vraiment où nous sommes, ni pourquoi nous l'avons reçue. Alors j'attendais, les yeux perdus dans le vide. Je venais de lire un livre sur ce qu'aurait pu être Hitler, et ce qu'Hilter a décidé d'être. J'ai lu l'importance des choix et de leurs conséquences. J'ai lu l'appel de la gloire et de la haine. J'ai lu l'égocentrisme et l'indifférence. J'ai lu la perte de la part de l'autre... Lorsque les âmes ne se soucient plus de ce qu'elles créent en d'autres, que leurs ressentis indiffèrent et qu'à l'inverse rien de ce que pourrait faire l'autre n'influe en nous, alors là nous perdons ce qui nous défini : notre humanité. Je venais de lire une proposition littéraire qui méritait d'y repenser plus d'une fois. Pour dire vrai, elle s'est accaparée ma nuit. Je ne l'avais pas vu venir mais il fallait me rendre à l'évidence, c'était un bon livre.

« Etait-ce parce que tout le monde s'affairait autour de lui comme s'il se fût agi d'un roi ? Toujours est-il que, à cet instant-là, Eva Braun avait pensé : "C'est lui l'homme de ma vie." Au fond, elle était tombée amoureuse d'une scène plus que d'un être. Ensuite, cette pulsion avait été maintenue fraîche et vive par les constantes difficultés qu'elle avait rencontrées. Du coup, cet entêtement de jeune fille avait pris les formes traditionnelles du flirt, de la consommation, du suicide, des retrouvailles, des humiliations, bref tous les états qui autorisent d'habitude les malades à appeler cette obstination constamment malheureuse une grande histoire d'amour. »

     Eric-Emmanuel décrit avec brio la banalité du mal et l'aveuglement de soi, dans un style d'écriture très simple (voire un peu lisse à mon goût). Les personnes nourrissant ces travers, de manière souvent paranoïaque, se font appeler "les salauds altruistes" ou plus communément des êtres "machiavéliens", c'est-à-dire qu'ils se sentent gardien d'une mission supérieure, qu'ils tenteront de réaliser coûte que coûte et par tous les moyens, pour le bien du peuple, que ce dernier approuve ou non. L'auteur décrit, condamne et pousse à la réflexion de manière admirable un sujet encore si tabou. Je ne peux que conseiller ce livre, qui me hante encore aujourd'hui.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire